Les syndromes des champignons toxiques

AVERTISSEMENT : d’une manière générale, il faut consommer des champignons en petites quantités, bien cuits et jamais à tous les repas. De plus, il ne faut jamais ramasser les champignons dans les endroits potentiellement souillés ou pollués (bords des routes, composts, champs amendés, etc.), car ces organismes, composés à plus de 80 % d’eau, sont de véritables « éponges », et accumulent énormément les composés toxiques.

Si quelques champignons sont renommés pour leurs qualités gustatives, d’autres le sont pour leur toxicité plus ou moins importante. Les différents syndromes sont présentés ci-dessous en fonction de leur gravité, en commençant par les plus dangereux.

Les champignons mortels

Le syndrome phalloïdien

Espèces responsables : amanite phalloïde (Amanita phalloides, responsable de plus de 90 % des empoisonnements mortels, amanite printanière (Amanita verna et son sosie, Amanita decipiens), amanite vireuse (Amanita virosa), mais aussi les petites lépiotes du groupe de Lepiota helveola et de Lepiota brunneoincarnata, et les galères du groupe de la galère marginée (Galerina marginata).
Molécules responsables : les amatoxines.
Les symptômes : entre 8 et 12 heures après l’ingestion apparaissent de violentes douleurs abdominales, de fortes nausées, des vomissements et de la diarrhée. Cette première phase pouvait, par le passé, entraîner la mort des intoxiqués. En moyenne un à deux jours après cette première phase, et alors que les intoxiqués ont recouvré la santé, se déclare la deuxième phase qui se traduit par une atteinte hépatique grave, pouvant être mortelle.
L’hécatombe du siècle : en 1911, à Valence, dans une pension de famille, onze personnes ont trouvé la mort après avoir consommé des amanites du groupe de l’amanite phalloïde. Voilà le récit qu’en fit le père Billard, sorti miraculeusement indemne de cette hécatombe :
« Je vis presque tous les pensionnaires se tordre sur place, sortir, rentrer en criant, appeler des médecins, jeter des propos affolés en se tenant le foie…[…] En quelques heures, ce fut une hécatombe atroce. Onze personnes moururent dans les souffrances les plus cruelles, sans que l’intervention des médecins ait pu les sauver… »
Ce sont les progrès de la réanimation qui ont, pour la plus grande part, fait reculer la mortalité. Aucun antidote n’a vraiment démontré une efficacité. Seule l’utilisation de la silibinine (extraite du Chardon-Marie, Silybum marianum) est recommandée à ce jour. La transplantation hépatique a modifié l’évolution des intoxications gravissimes.

Le syndrome orellanien

Espèces responsables : cortinaire couleur de rocou (Cortinarius orellanus), et toutes les espèces proches (Cortinarius speciosissimus, C. orellanoides, etc.).
Molécule responsable : l’orellanine.
Les symptômes : comme dans le cas des intoxications dues à l’amanite phalloïde, les premiers symptômes digestifs apparaissent une dizaine d’heures après l’ingestion. Ceux en relation avec l’insuffisance rénale apparaissent dans un délai de 2 à 17 jours après la consommation. L’intoxiqué ressent une violente sécheresse de la bouche, puis est atteint de nausées, de vomissements et de diarrhées aiguës. La fonction rénale est rapidement détruite, et la mort pouvait survenir dans un délai de 2 à 6 mois. Aujourd’hui, les patients insuffisants rénaux chroniques doivent supporter des hémodialyses régulières, dans l’attente d’une greffe rénale, ou sinon jusqu’à la fin de leur vie.

Le syndrome gyromitrien

Espèces responsables : tous les gyromitres (Gyromitra esculenta, G. gigas, et G. infula, probablement). D’autres ascomycètes contiennent de la gyromitrine.
Molécules responsables : les gyromitrines ; l’une d’elles se transforme dès que le champignon est cueilli et jusqu’à ce qu’il soit parfaitement sec, en une molécule extrêmement toxique, la méthylhydrazine. Certains dérivés de cette molécule servent de carburant aux moteurs des fusées !
Les troubles apparaissent de 5 à 48 heures après ingestion : nausées, vomissements et diarrhée. Fait unique dans les empoisonnements fongiques, les intoxiqués ont de la fièvre. Certains peuvent avoir des convulsions. L’atteinte hépatique qui s’en suit peut être mortelle. De plus, certaines personnes présentant un terrain génétique favorable peuvent voir leurs globules rouges partiellement détruits : cette hémolyse peut avoir, dans les cas les plus graves, des conséquences fâcheuses.

Le syndrome paxillien

Espèce responsable : le paxille enroulé (Paxillus involutus).
Molécule responsable : inconnue dans l’état actuel des connaissances.
Le paxille enroulé, comme le tricholome équestre (voir syndrome suivant), est encore donné comme bon comestible dans de nombreux ouvrages de mycologie. Il a pourtant entraîné de graves intoxications qui, pour certaines d’entre elles, ont eu une issue fatale. Il semble qu’il s’agisse plutôt de sensibilisation progressive, débouchant sur des réactions allergiques violentes (destruction des globules rouges), puisque les personnes intoxiquées avaient déjà consommé ce champignon sans aucun problème, et à plusieurs reprises.

Le syndrome de rhabdomyolyse

Espèces responsables : le tricholome équestre (Tricholoma equestre), le tricholome doré (T. auratum), et certaines russules qui n’existent pas en France, comme Russula subnigricans.
Molécule responsable : inconnue dans l’état actuel des connaissances.
Le tricholome équestre, excellent comestible abondamment récolté, notamment dans les Landes sous le nom de « bidaou », a été clairement identifié comme ayant provoqué une douzaine d’intoxications, dont trois mortelles, rapportées à la consommation excessive de ce champignon (3 à 6 repas consécutifs). De un à trois jours après l’ingestion, le consommateur, fatigué, ressent des douleurs musculaires dans les membres inférieurs, parfois des nausées. Les muscles striés sont spécifiquement détruits (muscles de l’appareil locomoteur, du diaphragme et myocarde).

Les champignons toxiques

Le syndrome panthérinien

Espèces responsables : essentiellement l’amanite panthère (Amanita pantherina), mais aussi l’amanite tue-mouches (Amanita muscaria) et ses variétés, ainsi que l’amanite jonquille (Amanita gemmata).
Molécules responsables : nombreuses et complexes, essentiellement acide iboténique et muscimol ; certaines ont des propriétés hallucinogènes.
Les symptômes sont presque aussi variés que le nombre de molécules incriminées, mais un certain nombre de points communs existent : sécheresse des muqueuses, accélération du rythme cardiaque, nausées, malaises et parfois excitation extrême et même hallucinations. Il faut donc prendre garde à ces champignons qui peuvent entraîner de sérieux problèmes chez des personnes faibles ou des jeunes enfants (risque de convulsions).

Le syndrome muscarinien

Espèces responsables : un grand nombre d’inocybes, en particulier l’inocybe de Patouillard (Inocybe patouillardii), les petits clitocybes blancs proches du clitocybe blanchi (Clitocybe dealbata), et les mycènes proches de la mycène pure (Mycena pura, M. rosea).
Molécules responsables : la muscarine.
L’intoxication est caractérisée par une sudation spectaculaire (syndrome sudorien : les intoxiqués transpirent abondamment, à tel point que certaines personnes peuvent perdre plusieurs kilos en l’espace d’une seule nuit), des diarrhées, parfois des nausées et des vomissements. Elle peut entraîner des complications cardiaques.

Le syndrome proximien

Espèces responsables : l’amanite à volve rousse (Amanita proxima). Aux États-Unis, Amanita smithiana et, au Japon, Amanita pseudoporphyria.
Molécules responsables : non formellement identifiées. Un acide aminé commun aux espèces nord-américaine et japonaise est toxique pour la cellule rénale.
La consommation de l’amanite à volve rousse, confondue avec l’amanite ovoïde (Amanita ovoidea), entraîne des troubles digestifs et une augmentation du volume des urines de 8 à 14 heures après ingestion, puis une atteinte hépatique et rénale évoluant en général favorablement en quelques semaines.

Le syndrome psilocybien

Espèces responsables : les psilocybes du groupe du psilocybe lancéolé (Psilocybe semilanceata), ainsi que de nombreuses espèces tropicales.
Molécules responsables : pilocine et psylocybine, molécules proches de la sérotonine, un médiateur de la transmission nerveuse. Elles partagent avec le LSD un motif commun (noyau indole substitué).
Tout d’abord et avant tout, la législation française interdit la récolte, la détention, et le transport de ces champignons : ils sont inscrits sur la liste des stupéfiants. La culture, au Mexique, de certains champignons de ce groupe, remonte à l’époque précolombienne. Nommés teonanácatl , ou « chair de Dieu », ils sont toujours utilisés dans certaines peuplades lors de cérémonies divinatoires.
Les effets sont ceux des drogues dures, avec modifications sensorielles. Des réactions paranoïaques, dépressives ou schizophrènes aiguës avec risque de passage à l’acte, ainsi que des réactions psychotiques pouvant être durables sont possibles. Un jeune homme de 18 ans, suite à une « overdose », a été la victime d’un infarctus du myocarde.

Le syndrome résinoïde

Espèces responsables : l’entolome livide (Entoloma lividum), le tricholome tigré (Tricholoma pardinum), le clitocybe de l’olivier (Omphalotus olearius) et le clitocybe trompeur (Omphalotus illudens).
Molécules responsables : nombreuses et variées.
Généralement très douloureuse, cette intoxication est le plus souvent sans gravité, bien qu’elle ait causé des décès de personnes particulièrement affaiblies. En dehors de violentes douleurs gastro-intestinales, l’intoxiqué craint surtout une rapide déshydratation, en raison de l’abondance des diarrhées et des vomissements. Lucien Quélet, immense mycologue de la deuxième moitié du XIXe siècle, fut intoxiqué par l’entolome livide chez une de ces amies, meunière de son métier. Il parla longtemps de cette mésaventure, dont il se souvenait comme « la purge de la meunière ».

Le syndrome acromélalgien

Espèces responsables : le clitocybe à bonne odeur (Clitocybe amoenolens).
Molécules responsables : les acides acroméliques, puissants meurotoxiques, sont communs à Clitocybe amoenolens et à un clitocybe japonais (Clitocybe acromelalga), provoquant lorsqu’il est consommé des symptômes équivalents. La responsabilité de ces molécules n’est pas formellement démontrée ; une vingtaine d’autres sont présentes dans l’espèce japonaise.
Vers le milieu des années 1990, une nouvelle intoxication a fait son apparition en France, dont les symptômes rappelaient ceux attribués à une espèce de clitocybe japonais. L’espèce française, qui est un sosie du clitocybe inversé (Lepista inversa) fut identifiée comme étant le clitocybe à bonne odeur (Clitocybe amoenolens), originellement décrit d’Afrique du Nord. Quelques jours après l’ingestion, les intoxiqués voient les extrémités de leurs membres, doigts et orteils, gonfler et rougir. Ce n’est malheureusement que le début d’une véritable torture, car ces extrémités vont devenir intolérablement douloureuses, atteintes de sensations de brûlures tout à fait insupportables, qui peuvent persister durant plusieurs semaines. Les extrémités lésées peuvent conserver, à vie, des cicatrices douloureuses de cet épisode.

Le syndrome coprinien

Espèces responsables : certains coprins, notamment le coprin noir d’encre (Coprinus atramentarius).
Molécule responsable : coprine qui se métabolise en molécule active, l’aminocyclopropanol. Elle bloque, à un stade toxique passant normalement inaperçu, le métabolisme de l’alcool.
Le coprin noir d’encre est théoriquement comestible, mais déconseillé avec de l’alcool. Ainsi, la consommation de boissons alcoolisées en même temps que ce coprin, ou dans les jours qui suivent l’ingestion, provoque des bourdonnements d’oreilles, un état d’anxiété et d’agitation très désagréable, un rougissement du visage, une augmentation du rythme cardiaque et des diarrhées. Ces effets sont à rapprocher de ceux obtenus avec certains composés utilisés lors des cures anti-alcooliques (effet antabuse).

Le syndrome digestifs

Espèces responsables : nombreuses, parmi lesquelles on peut citer l’amanite rougissante (Amanita rubescens), l’armillaire couleur de miel (Armillaria mellea), les grandes lépiotes comestibles (Macrolepiota procera et espèces proches), le clitocybe nébuleux (Clitocybe nebularis), les bolets visqueux du genre Suillus, certaines claires (groupe de Ramaria formosa), ainsi que la russule olivacée (Russula olivacea), etc.
Molécules responsables : nombreuses et variées.
Nous regroupons ici des syndromes variés ayant pour points communs des dérangements gastro-intestinaux, parfois très importants, mais généralement sans aucune gravité. Nous donnons ci-dessous quelques exemples de ces manifestations.
Les grandes lépiotes, souvent très fibreuses, sont mal digérées par certaines personnes.
Les bolets visqueux sont nettement laxatifs lorsque l’on ne prend pas la peine d’ôter la pellicule visqueuse du chapeau.
Le tréhalose, un sucre uniquement présent chez les champignons, n’est digéré que par une molécule enzymatique nommée tréhalase, génétiquement absente chez certains individus. L’accumulation de tréhalose peut provoquer de très violentes diarrhées.

Autres intoxications

Le mal des Ardents

Aussi appelée « feu de Saint-Antoine » ou « ergotisme », cette terrible intoxication s’abattait périodiquement sur les populations du Moyen-Âge. Le responsable est l’ergot du seigle (Claviceps purpurea) qui, sous sa forme classique, se présente comme une petite « banane » noire remplaçant les épillets de certaines graminées, notamment ceux des céréales servant à confectionner le pain. Les molécules qu’il contient, proches de l’acide lysergique, provoquent une diminution du diamètre des vaisseaux sanguins, avec pour conséquence l’occlusion totale des plus petits, notamment de ceux situés aux extrémités des membres. Écoutons le Dr Chaumartin, qui décrit ainsi les symptômes de l’intoxication :
« Le mal débute furtivement par une tache noire qui s’étend, brûle insupportablement, pourrit les chairs et les muscles, et finalement tronque les os. Les membres noirs, comme calcinés, se détachent du tronc : d’horribles douleurs crucifient les victimes… »
Les méthodes de récolte et de traitement des cultures ont aujourd’hui fait disparaître cette intoxication.

Les mycotoxicoses

Espèces responsables : nombreuses moisissures.
Molécules responsables : variables selon le type de moisissure.
Il s’agit cette fois non d’intoxications liées à l’absorption du champignon lui-même, mais de molécules toxiques que, dans certaines conditions, il est susceptible de produire. Ces molécules sont parmi les substances cancérigènes les plus puissantes aujourd’hui répertoriées (l’aflatoxine B1), ou bien sont de très puissantes neurotoxines (la patuline).
En Russie, de nombreuses et gravissimes épidémies, provoquant la mort par gangrène du pharynx et de la cavité buccale, ont été enregistrées durant la dernière guerre mondiale : les responsables sont de minuscules moisissures qui se développent sur les céréales humides, et qui fabriquent des produits neurotoxiques et immunodépresseurs.